vendredi 23 septembre 2016

Le rêve d'Auroville


« Il devrait y avoir quelque part sur la terre un lieu dont aucune nation n’aurait le droit de dire : il est à moi ; où tout homme de bonne volonté ayant une aspiration sincère pourrait vivre librement comme un citoyen du monde, et n’obéir qu’à une seule autorité, celle de la suprême vérité ; un lieu de paix, de concorde, d’harmonie, où tous les instincts guerriers de l’homme seraient utilisés exclusivement pour vaincre les causes de ses souffrances et de ses misères. »

Mirra Alfassa, surnommée « La Mère » extrait de « Un rêve »

... Présenté ainsi, j’hésite à classer Auroville dans la case « Secte », où dans la case « Illuminations de Noel»...  Pourtant, contrairement aux autres tentatives de société idéale, Auroville est la seule qui depuis plus de cinquante ans croît et se développe en restant –parait-il – à peu près fidèle à l’esprit de la charte d’origine donnée par la Mère, elle même inspirée de Sri Aurobindo.

Cette raison aiguise ma curiosité, et pour avoir lu et entendu pas mal de choses contradictoires, je préfère me rendre sur place  juger par moi-même tout en restant aware. (concept du philosophe belge JC Van Damme)

Mon arrivée à Auroville

Comme son nom ne l’indique pas, Auroville n’est pas une ville mais un village éparpillé dans la forêt qui se situe à une quinzaine de kilomètres au Nord-Ouest de Pondichery dans l’état du Tamil Nadu. (En Inde pour ceux qui ne suivent pas.)
Il doit surement y avoir un bus local reliant Pondichéry à Auroville, mais je le cherche toujours... Et sur ce coup-là, les Indiens ne m’ont pas franchement aidé : Autant ils peuvent être d’une gentillesse déconcertante, autant ils peuvent être aussi de vraies têtes de mules... 
Bref, c’est à l’arrière d’une moto d’un autochtone du premier groupe que j’arrive enfin à cette curiosité d’Auroville.
A l’entrée je trouve une auberge avant de comprendre qu’étant à l’extérieur de la cité, elle ne donne pas droit à la carte de résident qui offre les avantages de pouvoir profiter du Solar Kitchen, restaurant bon marché où tout est cuit à l’énergie solaire, ni à l’accès au Matrimandir, ni faire des achats à l’intérieur d’Auroville.
Je déménagerai donc  ensuite  au Center Guest House d’Auroville dans une résidence d’accueil qui propose pour 11€, une chambre individuelle soignée, le petit déjeuner et le repas du soir et même la lessive.

 Center Guest House
Un centre d'informations accueille les visiteurs dans des bâtiments modernes, parfaitement entretenus, avec auditorium, expositions, musée, restaurant et surtout un personnel très attentif à toute demande de renseignement. Le premier contact est plutôt positif.

Le Centre d'accueil d'Auroville
C’est quoi Auroville exactement ?

Auroville est une communauté de 2300 personnes venues du monde entier (60% d’occidentaux) fondée en 1968 (ben voyons !) , sans discrimination de croyance, de couleur ou de nationalité pour œuvrer à l’édification d’une ville universelle sans lien avec l’argent, la politique ou la religion, et où chacun aurait sa vraie place en fonction de ses capacités, et le tout en étroite harmonie avec la nature et avec la « conscience divine ».

Les plans de la ville fut confiés à un architecte français Roger Anger en respectant le principe d’une forme de galaxie avec une zone internationale, une zone résidentielle, une zone culturelle et une zone de production. Et n’imaginez pas une colonie de baba cool vivant sous des tentes ! Les plans de chaque bâtiment et de chaque maison sont validés par des architectes dans un style soit des années 70 ou soit néo-colonialiste moderniste, ce qui donne plutôt un aspect huppé...

Quitte à choquer les Aurovilliens (mais qui ne doivent pas être nombreux à me lire), Auroville peut ressembler par certains aspects à un Center Parc : des maisons, des villas, des musées, des écoles, des fermes et différents bâtiments se cachent dans une forêt aménagée de chemins plus ou moins balisés où il est très agréable de se promener à pieds ou à vélo... Mais la comparaison s’arrête là. Auroville n’est ni une station balnéaire ni un village de vacances. C’est avant tout un lieu de travail et de méditation dans le cadre d’un idéal partagé.
N’imaginez pas non plus le centre d’Auroville comme une place centrale animée de petits marchés locaux, de bars de terrasses et de restau... C'est pas vraiment le style de la Maison-Mère...

Auroville bénéficie d’un statut unique depuis 1988 qui donne une indépendance administrative par rapport au gouvernement indien et les habitants tentent d’établir leur propre organisation interne selon les règles les plus proches possibles des enseignements de Sri Aurobindo (1872-1950) et de la charte dictée par la Mère (1878-1973) :

1 - Auroville n’appartient à personne en particulier, Auroville appartient à toute l’humanité dans son ensemble. Mais pour séjourner à Auroville, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine.

2 – Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant et d’une jeunesse qui ne vieillit point.

3 – Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s’élancer vers les réalisations futures.

4 – Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète.

... Et pourtant pas facile de trouver une zone fumeur à Auroville...


Le Matrimandir : l’âme d’Auroville.

Toute l’âme d’Auroville se concentre dans le Matrimandir. C’est est un lieu consacré à la Mère Universelle, concept ancré dans la tradition hindoue, qui si j’ai bien compris -mais sans aucune certitude- symbolise la création comme manifestation du divin. Bref, c’est comme la géode du parc de la Villette mais en dorée avec douze pétales symbolisant les douze mois de l’année et douze qualités fondamentales.

Matrimandir vue de l'extérieur
Star War vue de l'intérieur
Le Matrimandir est entouré de jardins, de fleurs, de plantes, de jets d’eaux, d’un amphithéâtre de plein air. Aucune photo n’est autorisée sur le site qui n’est pas en libre accès. Même pour avoir accéder au view point, il faut un pass qui sera contrôlé deux ou trois fois sur le chemin. L’intérieur se visite sur rendez-vous : je dois reconnaître que l’architecture  est impressionnante, emprunte de spiritualité et de symboles dans un décor digne de star war...  La chambre intérieure est un lieu de concentration au silence absolu...Merci d’éternuer dehors !

Une économie fondée sur les échanges de services

La Mère a déclaré : « Pas de circulation d’argent à Auroville. C’est seulement avec l’extérieur qu’Auroville aura des relations d’argent. Les Aurovilliens ne percevront pas de salaires. »
Si cette idée de base n’a pas encore été réalisée totalement, plusieurs tentatives sont faites pour la mise en place d’une économie collective. L’éducation, les soins médicaux, la culture et les activités sportives sont gratuites.
Les Aurovilliens  perçoivent une allocation mensuelle («maintenance ») sur un compte interne du service financier de la ville. Cette maintenance ne permet que de vivre modestement.  Tous les achats effectués dans les centres d’achat de la ville sont débités sur ce compte (à l’aide d’une carte), y compris les factures d’électricité, de téléphone ou de restauration. Deux expériences sont en cours de coopératives : contre une contribution mensuelle, chacun peut se fournir en vêtement neuf selon les besoins, et dans un supermarché, chacun achète ce qu’il veut sans passer à la caisse (avec contrôle) moyennant une contribution mensuelle.

·     Il n’y a pas de circulation d’argent au sens fiduciaire du terme, ce qui n’empêche pas une circulation dématérialisée.
·      Le service financier de la ville n’emprunte pas d’argent et n’investit pas dans l’immobilier : il équilibre chaque mois ses recettes et ses dépenses.
·       Les fermes locales ont pour fonction essentielle de fournir à la communauté une nourriture biologique et de vendre le surplus, mais leurs productions sont loin de suffire aux besoins d’Auroville.
·       Les Aurovilliens ne sont jamais propriétaires de leur maison et les fermes et les moyens de productions appartiennent à la ville.
·       Depuis l’inauguration d’Auroville, 2 millions d’arbres forestiers et fruitiers ont été plantés, la ville développe sa production d’énergie (solaires et éoliennes) et l’eau potable est gratuite.

N’est pas Aurovillien qui veut !

Tous ceux qui souhaitent devenir Aurovillien (au minimum après 3 mois de présence) doivent en faire la demande au cours d’un entretien auprès du Service d’Entrée. S’ils sont acceptés, ils auront le statut de Newcomer pour une période probatoire d’un an. A la fin de cette période, le Service d’entrée décidera après consultation de la communauté et de la « personne-contact » (sorte de parrain) si l’aspirant peut devenir Aurovillien, ou si jugé nécessaire, la période probatoire peut être prolongée.

Sans oublier ...

... Que la vie culturelle se partage entre les cinémas, avec films en français, les musées, les expositions de peinture, d’une salle de spectacle, d’une bibliothèque...
... Qu’il y a deux écoles sur Auroville et que chaque nation peut exprimer sa culture au sein de pavillons nationaux dans la zone internationale destinée à devenir un campus pour mettre en avant l’unité entre les peuples...
... Que les fermes locales servent également à manger une nourriture saine et délicieuse, indienne ou non.
... Que les résidents élisent les différents « groupes de travail », sorte de conseil municipal avec une spécialité pour chaque groupe habilité à décider au nom des résidents.
... Que je dois surement oublier une tonne de choses !

 Du rêve à la réalité ...

J'avais prévu de rester 2 jours sur Auroville pour y rester finalement le double. Bien évidemment, cela ne me permet pas de me faire une idée précise si la réalité rejoint le rêve. 
J’ai pris plaisir à faire connaissance avec cette cité hors norme et reposante. J'ai aimé parcourir les chemins à vélo,  participer à une sorte de "yoga", méditer au crépuscule au Matrimandir, ou simplement me reposer dans un cadre de verdure.

Pour avoir échanger avec quelques habitants d'Auroville, j'ai pu apprécié leur gentillesse, leur esprit d'entr'aide, leur lucidité, leur ouverture d'esprit et parfois même leur sens de l'humour : ce sont loin d'être des illuminés, même si çà fait toujours drôle de voir quelqu'un enlacer un arbre... 
Si chacun reconnait que tout n'est pas parfait, chacun est fier de participer à la construction et au développement d'Auroville.

Auroville se défend d'être une destination touristique, pourtant elle l'est et les ressources liées au tourisme contribuent fortement à l'équilibre financier (ou pas) de la ville. 
Je ne sais pas exactement comment est financée la ville (un peu de taxes, un peu de bénéfices des moyens de production et je crois pas mal de subsides de l'Etat Indien) mais au vu des infrastructures des bâtiments et des services publics, il est impossible que la ville se finance sans apport de capitaux extérieurs (sous forme de donations j'imagine). Le bonheur est toujours plus facile à trouver avec le porte-monnaie des autres....

La mairie, la bibliothèque
Certaines villas sont simplement magnifiques et luxueuses, et il ne serait pas surprenant qu'Auroville soit également "un vaste éco-village spirituel pour occidentaux nantis en mal de destination exotique".

Auroville n'est pas non plus une secte même si j'y retrouve quelques quelques éléments folkloriques : le culte de La Mère avec ses portraits partout, ses discours en boucle sur fond musical style Vangelis (musique planante), et tout un jeu symbolique de lumières, de sphères, de colonnes et de blancheur immaculée à l'intérieur,  toujours dans un silence absolu. Néanmoins, personne ne doit reverser à la communauté ses biens personnels ni souscrire à un culte bien précis.

Il faut également resituer Auroville dans le contexte de l'Inde où la spiritualité occupe une place largement plus importante qu'en France, et finalement, les objectifs d'Auroville sont tout à fait louables : l'universalité de tous les habitants, sans hiérarchie de valeurs, chacun travaillant selon ses possibilités avec un accès à la santé, à l'éducation et à la culture. Ici tous les hommes sont égaux, mais comme ailleurs, certains le sont un peu plus.

Quatre jours ne sont vraiment pas suffisants. Je me suis laissé charmer par la douceur de vivre loin du brouhaha trépident des villes indiennes, mais ma curiosité n'est pas pour autant assouvie. J'espère revenir un jour pour me forger une conviction plus précise... Alors à suivre !




4 commentaires:

  1. Coucou Fabrice...
    Etonnant... qu en penser ???
    Je suis toujours assez fascinée par des gens qui décident de vivre autrement... !!!
    Mais effectivement, le coté secte / pas secte est tjrs un peu derangeant... !!!
    Savoure ces dernieres semaines de périple... vas tu prolonger ? On te sent tellement enthousiaste par tes découvertes autour du globe...
    Ceci dit le monde est grand ... et tu as encore plein de jolies découvertes à faire... ou à envisager...
    Gros bisous...
    Dorothee

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  2. Mouais...secte/pas secte...
    Original, mais je reste toujours aussi sceptique sur le sujet... :p
    Tu as été curieux, tu as vu, tu as apprécié...et ils ne t'ont pas lobotomiser!!! :) :) :)
    Blntt

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    1. Ce n'est pas une secte...

      Pas du tout, même si certains habitant sont sectaire, rien, ni dans les idéos, ni dans l'organisation du "truc" ne le permet. D'ailleurs les gourous sont morts depuis bien longtemps...

      Moi qui me prépare à y vivre 1 an ou + (après 3 visites de plus en plus longues), je dirais que cet article est l'un de ceux qui parlent le mieux d'Auroville : c'est une utopie, mais ce qui est intéressant c'est ce que les gens, après la mort des gourous (que je nommes ainsi à la fois de manière provocatrice pour un occidental, mais intéressante pour un indien). Un idéal face à la réalité. Et la réalité est rude. Mais devenir Aurovillien, c'est défendre un idéal d'une unité humaine (voir globale), libre à chacun d'y croire ou pas, d'y participer ou pas, d'arriver en tant que touriste curieux, ou bâtisseur idéaliste. On est bien loin d'une secte non?

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  3. Ah enfin ! AUREVILLE ! C'est presque décevant ; Je m'étais imaginée quelque chose de plus... soixanthuitard ; genre réunions autour de feux de camps à chanter "Colchique dans les prés" ou simplement écouter des fans de Simon & Garfunkel aux sons de guitares et d'harmonicas. Pour "the sound of Silence", on y est. Ça a l'air reposant, on y ferait bien une petite retraite de méditation (même si c'est un peu loin). J'imagine qu'en restant plus longtemps il doit être intéressant de rencontrer des gens de cultures et d'horizons très "mélangés". Le concept semble aussi simple que sain, mais l'âme de l'Homme l'est bien moins à mon avis... Et sans les discrètes interventions extérieures, je doute que l'application de ces beaux préceptes soit pérenne. Malgré tout, je trouve ça rassurant que quelque part dans le monde, il existe une expérience semblable avec des gens qui y croient et qui tentent la réalisation d'une utopie. Il y a à peu près le même nombre d'habitant qu'à Léry. J'espère que le comité des fête est actif et que les habitants ont du "fun" ! J'ai lu sur Wiki que pour devenir Aurévillien, il fallait pouvoir "subvenir" (=faire un don) à son habitat et à ses besoins pendant 1 an (travail non-rémunéré)... De quoi décrocher de la société de consommation ! définitivement ?

    Corine LAM-MINH, JACOB, GOUNOT, et ta sœur... Nous avons toutes hâte de te retrouver et de discuter de tout cela de vive voix !

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